Mines du Fournel
L'exploitation médiévale
Comme bien souvent, la tradition locale, les érudits du XIXe siècle et les premiers chercheurs, impressionnés par l'ampleur des travaux anciens, ont attribué aux
Romains la découverte et la mise en exploitation de la mine, «connue depuis un temps immémorial»
[Scipion Gras, Ingénieur des Mines,1836].
Mais les recherches archéologiques ont permis de démystifier l’exploitation de la mine par les
Romains. Les datations au carbone 14 indiquent en effet une activité étalée entre le Xe et le XIVe siècles, confirmée par plusieurs textes médiévaux qui indiquent clairement une exploitation minière aux XIIe et XIIIe siècles dans
le Fournel.
Les
Archevêques d’Embrun avaient, semble-t-il, des droits sur les mines avant le
Dauphin - XIe siècle - grâce à la générosité des
Comtes de Forcalquier qui leur avaient fait don d’une partie de la terre
des Orres, incluant
regalia dignes de leur rang social, notamment le droit de frapper monnaie ou d’extraire le minerai où bon leur semble.
Le bénéfice des mines donna lieu à plusieurs querelles entre le
chapitre de chanoines, les
Archevêques d’Embrun, qui firent appel à plusieurs papes, et, le
Dauphin. En 1155, l'empereur
Frédéric Barberousse, en délicatesse avec la papauté, trancha en faveur du
Dauphin lui accordant la concession des mines
- le Dauphiné était alors terre d'empire.
Afin de surveiller l'accès aux mines, un château est érigé sur le piton rocheux d'
Urgon, à l'entrée des gorges, autour duquel s'établit le premier village de
l'Argentière, dit
'Ville'. La concession au
Dauphin est confirmée par
Frédéric II en 1238 et le
château d'Urgon passe alors aux mains de fidèles du
Dauphin, les
Auruces, dont le blason constitue encore aujourd'hui les armoiries de la commune.
Il n'y a malheureusement pas de donnée économique, sociale et technique sur l'exploitation des mines au
Moyen Âge ; seulement quelques textes lacunaires sur la concession de droits de l’empereur
Frédéric Barberousse au
Dauphin en 1155, renouvelée sous l’empereur
Frédéric II en 1238.
Depuis au moins le XIe siècle, dans les
Alpes du Sud, l’exploitation des mines fonctionnait sous la forme de concessions accordées par le seigneur - laïc ou ecclésiastique - à des entrepreneurs plus ou moins enrichis qui devaient gérer eux-mêmes le bon avancement des travaux.
Le boom de l’exploitation est probablement situé aux abords du XIIe, puis au XIIIe siècle. Ce pic d’activité est perçu à travers les sources manuscrites d’Italie du Nord. À l'échelle européenne, la production est marginale. À l'échelle des
Alpes Occidentales, qui sont peu riches en gîtes métallifères, le
Fournel se situe dans le peloton de tête des mines d’argent, mais reste en retrait par rapport aux mines des vieux massifs français,
Massif Central notamment.
Par comparaison avec la production du XIXe siècle, on peut donner une estimation de 5 à 15 tonnes d’argent extraites au
Moyen Âge. Mais ce chiffre va être re-estimé sur la base des fouilles en cours. Sur les 20 kilomètres de galeries actuellement connues, 2 correspondent à l'exploitation médiévale.
L'extrême dureté de la roche obligea les mineurs à recourir à la technique de la taille au feu. Mais celle-ci implique une forte consommation de bois et aussi une bonne aération de la mine. On reconnaît dans les
Vieux Travaux, un réseau de galeries supérieures noircies par la suie et qui se développe au-dessus du plan du filon, procurant de l'air aux différents chantiers et communicant avec l'extérieur par un puits d'aération.
Les ouvrages médiévaux sont connus sur une assez grande superficie. Les galeries creusées en zone stérile sont de faible section
- moins de 1 m de hauteur - et leur cheminement est parfois tortueux. La partie riche du filon a été presque complètement excavée : de rares piliers soutiennent le toit de l'exploitation et les chantiers sont pour la plupart remblayés. De ce fait, leur exploration implique une progression en rampant entre les remblais anguleux et le plafond rocheux souvent concrétionné.
Mais cet état actuel résulte d'un abandon progressif de la mine. Un examen attentif met en évidence l'existence de zones de circulation plus spacieuses où des traces de traînage sont visibles
- transport par traîneaux. À la base des chantiers apparaissent des galeries creusées dans le but manifeste de drainer les eaux d'infiltrations. Les fouilles archéologiques ont permis de vider les remblais qui masquaient les travaux anciens. Elles ont mis à jour des équipements en bois et de ont donné une vision plus précise de l'architecture des chantiers. Par contre, les ateliers de minéralurgie n'ont pas été retrouvés.
Ainsi de prime abord, on pensait avoir affaire à une exploitation menée de façon non rationnelle et dans des conditions de travail effroyables. Certes, l'évacuation des matériaux devaient y être assez pénible
- le transport par wagonnet de bois n'apparaît qu'au XVe siècle dans les mines. Cependant les relevés topographiques font apparaître une organisation de l'espace souterrain : les mineurs ont creusé sur les failles qui rejettent le filon, un réseau de galeries de recherche et d'accès aux chantiers. Des ouvrages d'assistance, galeries et puits, ont permis de maîtriser les problèmes de transport, d'aérage et d'écoulement des eaux. La totalité des affleurements de filons ont été découverts et leurs exploitations ont pu s'étendre jusqu'à 150 m du jour.
De même, la gestion du bois était pensée de façon logique et organisée. On pourrait même parler d’une anticipation des besoins sur la longue durée. Les mineurs allaient chercher leur combustible en altitude car il est plus aisé de débarder du haut vers le bas des versants et fonctionnaient peut-être sous forme de cycles d’abattage de 25 à 50 ans. Ensuite, il existait toute une chaîne opératoire du combustible de la coupe sur pied au stockage jusqu’à la préparation du combustible avant d’échafauder le bûcher. Les décapages et la fouille de surface à l'entrée des sites d'extraction ont mis en lumière des aires de coupe et de stockage du bois à proximité directe des carreaux miniers. La présence de pourritures
- champignons microscopiques - dans les fibres ligneuses met en évidence un temps de stockage assez long après la coupe et le débardage en forêt.
On voit encore dans la pente bien au-dessus de la route, vers le hameau de
l'Eychaillon, des débris et déchets d'exploitation. Il s'agit pour l'essentiel de travaux médiévaux
- avec paradoxalement une galerie appelée galerie des Romains ! Les plus anciens remontent peut être au VIIIe siècle, avec des reprises au XVIIe, XVIIIe, une exploitation plus soutenue fin XIXe et des recherches ou tentatives début XXe.
En fait, il semble bien que tout le versant a été exploité au cours du
Moyen Âge à partir de chaque affleurement repéré en surface
- les anciens étaient très observateurs. Dès que le filon n’était plus exploitable à ciel ouvert, les mineurs creusaient des galeries souterraines,
plutôt horizontales que verticales, facilitée en cela par l'escarpement des lieux, en organisant les travaux pour l’extraction, l’aération, le drainage. Les traces visibles sur les versants correspondent pour l’essentiel à des débris et des déchets d’exploitation.
Mais il reste encore des secteurs à découvrir ; à l’automne 2005, 50 m de réseau inédit en cours de datation ont été mis à jour, sans trace d’exploitation à la poudre.